Dans les coulisses de la démocratie

Il y a quelques semaines, avec mon bulletin de salaire, j'ai reçu un avis de recherche de personnes volontaires pour participer au bon déroulement des élections dans notre ville (ah au fait, je suis employée municipale). Vu l'effervescence autour de moi à propos de ces élections, je me suis inscrite voyant ici l'occasion de voir au-delà de l'isoloir et de peut-être mieux comprendre les rouages de notre démocratie. Bon ça c'était la version officielle, officieusement oui j'étais curieuse mais en plus cet élan citoyen était rémunéré, alors pas de raison d'hésiter à participer...

Hier donc, dimanche 10 juin, les Français étaient appelés à voter et moi à travailler au bureau de vote n°11 de ma ville, au poste des enveloppes, c'est-à-dire la personne à l'entrée. Je vous plante le décor : ville moyenne, mais bureau de vote hyper ciblée, environ 600 inscrits, un petit bout de quartier quoi. Je comprends rapidement que tout le monde se connaît, a priori c'est toujours les mêmes têtes qui sont là à chaque élection. Moi, petite robe noire, jolies sandales, je m'étais apprêtée mais pas trop, après tout je représente la mairie, concept très lointain pour mes autres collègues tous armés de shorts et tongs. S'ils n'avaient pas été derrière l'urne on aurait pu croire qu'ils allaient à la plage. Je demande pas des costards mais un peu de tenue, ça n'aurait fait de mal à personne (c'est mon côté vieux jeu). Bref moi j'étais prévue d'après-midi, 6 heures à rester derrière mon petit bureau, je sens que ça va être long. On m'explique rapidement ce que j'ai à faire : vérifier le numéro de bureau de vote sur la carte d'électeurs, leur donner une enveloppe, vérifier qu'ils prennent au moins les bulletins de 3 candidats différents, tenir les comptes du nombres de votants, et le plus important garder les piles de bulletins à niveau égal, rien de compliqué en soi je devrais m'en sortir. Me voilà seule à l'entrée à attendre l'électeur, et autant dire qu'ils n'étaient pas nombreux. Quand je suis arrivée 171 personnes s'étaient déplacées pour voter, pour presque 600 inscrits, on peut dire que ces élections n'ont pas déplacé les foules...

Bref l'après-midi se passent longue mais longue, j'accueille environ une vingtaine de personnes par heure, et entre eux, j'attends, je refais mes piles, étale mes enveloppes, scrute les dessins qui décore la pièce (le bureau de vote se trouve dans une école), lit les affiches à destination des parents accrochées dans l'entrée et note pas moins de 5 fautes d'orthographes (on est dans une école et le correcteur automatique ça existe !!!!), bref je m'occupe l'esprit comme je peux, surtout que 1) mes collègues m'ignorent royalement car ils ne me connaissent pas (d'ailleurs ils m'ont même pas demandé mon prénom), 2) je suis là je pense pour les élections, je suis payée pour ça, mon employeur c'est la ville, donc je vais pas faire autre chose comme dégainer mon portable à tout va, lire un magazine, ou autre...mais bon j'dis ça j'dis rien !

Bref j'attends, je distribue, je compte, je m'amuse à essayer de deviner le vote des gens selon leur façon de prendre les bulletins (jeu totalement stupide et sans réponse mais bon quand le temps est long il est long!). Les heures s'égrainent, le taux de participation est faible, dans ma tête je fais le calcul, il faudrait arriver à 293 électeurs pour être à 50 %. Alors je compte, me focalise sur ce nombre, me réjouis de chaque personne supplémentaire, blague avec les électeurs, me fait draguer par des petits jeunes (vous êtes nouvelle dans le quartier, parce que je vous aurai remarqué !), j'essaie de rendre ces longues heures les plus agréables possibles. 

18h arrive, à moins 5 j'ai enregistré le 293ème électeur de la journée, 50 %, l'honneur est sauf, mais c'est quand même pas la joie. Les portes sont closes, et soudainement mes collègues s'affairent. On dirait que les choses sérieuses commencent enfin pour eux. Tout est compté, recompté, vérifié, les chiffres de chacun (dont les miens) comparés, tout est fait soudainement dans un extrême sérieux, le sérieux que j'attendais dans le déroulement d'une journée démocratique. Le dépouillement commence, le président du bureau distribue les rôles, tout est cadré et j'aime ça. Je découvre enfin ce qui se passe en coulisses au-delà de ce que je connaissais déjà. Tout est réglementé : 4 personnes appelées scrutateurs par table, 1 retire le bulletin de son enveloppe, 1 autre annonce le nom du candidat à haute voix, 2 autres sont chargés de tenir les comptes, pour veiller au bon déroulement et à la légalité du tout un représentant de chaque candidat est là. Moi je me retrouve un peu perdue au milieu de toutes ces personnes qui ont l'air de jouer une partition apprise par coeur, mon rôle s'arrête là. Bientôt les résultats seront connus, il y aura comme à chaque fois des heureux et des déçus, c'est ça aussi les élections. Quant à moi, je rentre chez moi, l'esprit tranquille, heureuse  d'avoir été citoyenne et d'avoir fait apporté ce jour-là ma toute petite pierre à la démocratie...