Hier, elle m'appelle à mon travail, je prend l'appel calant mon téléphone sous mon oreille tout en continuant ce que j'étais en train de faire. On parle de ma fille, de la pluie et du beau temps, et soudain elle fait une pause dans son discours, quelque chose la gêne. "C'est quoi ce bruit, qu'est-ce que tu fais ?" "Ben je déchire les livres." S'en est suivi un gros blanc, je l'avais scotché. Elle n'imaginait pas que moi sa fille, qu'elle pensait avoir bien élevée puisse mettre ainsi fin aux jours de pauvres livres que je suis censée défendre. J'ai remarqué que le livre était un objet à part, de passion et de débat, emprunt de sensibilité, touchant au plus près nos rêves, nos évasions, nos sentiments. Ainsi il devient un objet un peu sacré, en tout cas dont on ne se débarrasse pas comme ça. On ne jette pas un livre, on essaie de lui donner une seconde vie, en le donnant, en le prêtant, en le vendant dans les vide greniers, ou en les confiant à des professionnels comme moi, chargés de l'aider à poursuivre son chemin. Oui mais voilà le livre, ne fait pas exception, il n'est pas éternel, peu passe les années et les siècles, la plupart finiront en étant recycler, en donnant vie à d'autres choses. Une partie de mon travail, loin d'être ma préférée vous vous en douterez, est de parfois prendre la décision de choisir ceux qui partiront à l'échafaud. Les abîmés, les oubliés, les délaissés sont condamnés. Ils viennent s'échouer au pilon, le cimetière des livres, puis je les déchire séparant la couverture du reste des pages pour pouvoir recycler un maximum. Je me rends bien compte que c'est un sujet tabou dans notre profession, mais surtout pour le public, qui comme les abattoirs pour découper la viande, préfère ne rien savoir de cette partie de mon métier et fermer les yeux sur certaines pratiques, sur ce qui se passe dans les coulisses.
Hier, j'ai choqué ma mère...et peut-être vous désormais...
PS : dans la bibliothèque où je travaille, nous avons une politique de "On sauve au maximum". On fait des dons de livres à différentes associations, on propose parfois des dons à nos propres lecteurs, mais on respecte aussi une certaine éthique et quand un livre est en trop mauvais état ou contient des informations totalement obsolètes au point qu'on ne le lirait pas nous-même, pas respect nous ne les donnons pas et ils rejoignent la liste noire des ouvrages à détruire.
Bien sûr c'est choquant, mais il est évident que vous ne pouvez pas tout garder dans les rayonnages! et quand on pense à tous ces livres neufs pilonnés sans jamais avoir vu les lumières d'une librairie sous pretexte que la livraison a été refusée pour une raison quelconque, ça me choque bien plus. Dans ma ville, la médiathèque organise tous les ans une journée où tout le monde (même ceux qui n'ont pas leur carte de bib ou qui n'habitent pas la commune) peut acheter les vieux livres destinés au pilon pour 1€ symbolique... je trouve l'idée très sympa!
RépondreSupprimerJe ne savais pas que les bibliothécaires déchiraient les livres. Mais ne même temps, ça ne m'étonne pas, vous ne pouvez pas tout garder. D'autant plus que ce déchirement est là pour permettre le recyclage et donc peut-être une nouvelle vie aux livres. J'aime beaucoup l'idée du don ou de la vente à 1€ symbolique. C'est malheureux de se dire qu'un livre peut devenir obsolète mais il laisse ainsi la place aux nouveaux. Il y a déchirer et déchirer. Je ne suis donc pas choquée pour ma part.
RépondreSupprimer